D’origine valaisanne, Magali Dougoud (Martigny/CH, *1986) présente un ensemble d’œuvres sur le thème de l’eau, à l’intersection de l’écologie, du féminisme et de la politique. En portant un regard à la fois local et international sur l’usage de l’eau comme ressource naturelle et bien collectif, l’artiste fait dialoguer le Valais et la République démocratique du Congo (RDC) – pays qu’elle a découvert dans le cadre d’une résidence en 2022 –, et compose des fables contemporaines, mêlant réalité géopolitique et mythes liés à l’eau. Entre documentaire et réalisme magique, Magali Dougoud se réfère au concept d’« hydroféminisme », tel que défini par la chercheuse Astrida Neimanis, qui lie féminisme et questions environnementales. Elle tisse des récits où l’eau, au-delà de son exploitation pour sa seule utilité, devient un mode de connexion entre les espèces et les genres, un espace pour repenser notre relation au vivant et à l’altérité, la métaphore d’une pensée et d’un corps fluides et émancipés des normes imposées par la société. Aux eaux promises invite à un voyage à la frontière de l’étrange, où mers, lacs, fleuves et cours d’eau sont habités par des présences surnaturelles et deviennent des espaces de résistance et de résilience.
Tourné en Valais, dans la région d’Ayent, Le Bisse des Dissidentes (2025) nous plonge dans la géographie complexe des bisses. Construits à flanc de montagnes entre le XIIe et le XXe siècle et entretenus collectivement, ces canaux d’irrigation destinés à conduire l’eau des montagnes vers les terrains cultivés, sont un exemple unique de gestion communautaire de l’eau.
Aux différents plans qui, d’écluses en barrages, suivent la course de l’eau, des silhouettes fantomatiques campées dans le lit des rivières et des prêtresses futuristes vêtues de longues toisons se succèdent : les premières, comme procédant à un rituel, réinventent, tout en les universalisant, les gestes d’entretien des bisses pratiqués traditionnellement par les femmes valaisannes ; les secondes hument, palpent, caressent et semblent dialoguer avec les canalisations, comme avec une présence vivante. Par une approche sensible et sensuelle, Magali Dougoud redonne place aux femmes, figures invisibilisées de l’histoire de bisses et victimes d’un système patriarcal – les veuves perdaient leur droit à l’eau –, et affirme l’interconnexion de tous les êtres vivants. Tout en montrant la biodiversité créée par ces systèmes d’irrigations que le réchauffement climatique met à mal, Le Bisse des Dissidentes questionne l’accès passé, présent et futur à l’eau et les rapports de pouvoir qui y sont liés.
La vidéo Mati Wata Water (2025) a été tournée en RDC, pays qui concentre plus de la moitié des réserves d’eau douce du continent africain. Paradoxalement, l’accès à l’eau potable y est extrêmement limité car elle est en partie privatisée par des multinationales majoritairement occidentales dont les déchets la polluent. Les femmes, traditionnellement chargées de l’approvisionnement en eau, en sont les premières victimes, exposées aux longs et dangereux trajets quotidiens menant aux puits. À partir de la figure de la porteuse d’eau, Dougoud tisse un récit où s’entremêlent voix de femmes congolaises, plongées dans les fleuves et rivières de la région de Kinshasa, et apparitions de « Mami Wata », esprit de l’eau en Afrique centrale, dont l’apparence est celle d’un être hybride, mi-homme/mi-femme, mais aussi mi-serpent/mi-poisson. Par le truchement de cette figure magique rebaptisée par l’artiste « Mati Wata » (contraction de « Mami », « mère », et « Tati », « père », en lingala, langue bantoue parlée en RDC), Dougoud cherche à donner une voix au fleuve pour dénoncer les violences économique, écologique et humanitaire cristallisées par l’accès à l’eau.